Un siècle d’Art déco

Rodez, une modernité discrète mais exemplaire

Photographies : Patrice Thébault

Cent ans après l’Exposition internationale de 1925 qui a officialisé le style Art déco, Rodez révèle un patrimoine à la fois discret et très présent pour qui sait regarder. Loin des grandes métropoles où le mouvement s’impose par des édifices monumentaux, la ville aveyronnaise a intégré cette modernité par touches successives, dans ses commerces, ses hôtels, ses équipements publics et ses immeubles de l’entre-deux-guerres. Ce centenaire offre l’occasion de relire la ville à travers ce vocabulaire géométrique, élégant et fonctionnel qui a accompagné son entrée dans le XXᵉ siècle.

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L’Art déco naît dans un contexte de bouillonnement culturel. L’Europe sort meurtrie de la Grande Guerre et aspire à reconstruire un cadre de vie neuf, moderne, débarrassé des excès décoratifs de la fin du XIXe siècle. L’exposition de 1925 à Paris cristallise cette volonté en donnant son nom à un style fondé sur la géométrie, la symétrie, la clarté des lignes et l’emploi de matériaux contemporains comme le béton, le verre, la mosaïque ou le métal. Ce langage s’impose rapidement dans l’architecture, le mobilier, les arts décoratifs et même dans l’aménagement urbain. L’Art déco accompagne ainsi l’essor d’une société qui se motorise, s’urbanise et se projette avec confiance dans l’avenir.

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À Rodez, cette modernité se diffuse de manière progressive, à travers des bâtiments qui n’ont rien de démonstratif mais qui marquent nettement l’évolution de la ville dans les années 1920–1940. L’un des ensembles les plus emblématiques est celui du Café Broussy, avenue Victor-Hugo. Anciennement divisé entre le Café Riche et le Grand Hôtel Broussy, aujourd’hui transformé en café et en hôtel, cet ensemble se distingue par une façade ornée de mosaïques géométriques parfaitement représentatives du vocabulaire Art déco. Les lignes y sont nettes, les volumes équilibrés, la décoration présente mais maîtrisée. Ces mosaïques, visibles depuis l’espace public, comptent parmi les éléments les plus immédiatement identifiables du style à Rodez et témoignent de la volonté d’inscrire la modernité dans un lieu de vie central et fréquenté.

Cette modernité prend aussi forme sur la place de la Cité, où plusieurs immeubles reconstruits ou remaniés à l’époque présentent des façades épurées, rythmées par des baies régulières et une modénature strictement géométrique. L’ensemble offre l’un des points où l’Art déco apparaît de manière la plus homogène dans la ville, donnant à la place une identité très reconnaissable. Le regard passe alors naturellement d’un bâtiment à l’autre, observant les ferronneries stylisées et la sobriété des volumes qui traduisent une volonté de cohérence urbaine rare dans le Rodez de cette période.

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D’autres lieux renforcent cette lecture. La place d’Armes, au pied de la cathédrale, accueille plusieurs immeubles conçus par l’architecte André Boyer, dont les façades modernisées adoptent les principes de simplification et les rythmes géométriques caractéristiques de l’Art déco. Le contraste entre la pierre gothique de la cathédrale et ces immeubles de l’entre-deux-guerres permet de saisir comment Rodez a absorbé la modernité sans jamais rompre avec son passé monumental. L’Art déco s’adapte ici au contexte, trouvant sa place dans un environnement architectural déjà marqué par plusieurs siècles d’histoire.

Le style s’exprime également dans des bâtiments publics, comme l’Hôtel des Postes, reconnaissable à ses ferronneries stylisées et à ses décors soignés. L’enseigne en marbre blanc située au-dessus de l’entrée, élément souvent ignoré des passants, en dit long sur l’ambition de l’époque : moderniser le service public tout en lui donnant une image prestigieuse et contemporaine. Cette alliance du fonctionnel et de l’élégant résume bien l’esprit Art déco, qui cherche à concilier utilité et esthétique.

La modernité de l’entre-deux-guerres s’est aussi invitée dans les lieux de sociabilité et de culture. Ancien premier cinéma de la ville, le Family Ciné de la place Charles-de-Gaulle conserve sa façade et son enseigne en mosaïque Art déco. L’usage du motif, la typographie stylisée et le traitement géométrique de la façade illustrent comment l’Art déco accompagnait la naissance des loisirs modernes. Ces éléments, encore visibles, constituent une archive urbaine précieuse pour comprendre l’introduction du cinéma dans le quotidien ruthénois.

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Enfin, l’Art déco se repère dans le quartier du Faubourg, notamment avec la pharmacie du Faubourg, construite en 1934. Ses formes géométriques affirmées, sa façade épurée et son implantation au carrefour Saint-Cyrice / Béteille en font un repère typique de l’architecture commerciale de l’époque. Le bâtiment illustre la manière dont le style a pu s’infiltrer dans les quartiers périphériques en pleine transformation, là où les nouvelles mobilités et les nouveaux usages redessinaient progressivement les rues et les commerces.

Ce patrimoine, longtemps discret, est aujourd’hui relu avec un intérêt croissant. Les restaurations mettent en valeur les ferronneries d’origine, les motifs en mosaïque, les modénatures géométriques ou les façades lissées qui constituent les signatures du style. Loin d’être un simple décor, l’Art déco raconte comment Rodez a négocié son entrée dans la modernité, comment la ville a intégré les innovations techniques et esthétiques du XXᵉ siècle tout en préservant une cohérence architecturale.

Un siècle après sa naissance officielle, l’Art déco permet ainsi une relecture fine du paysage ruthénois. Rien d’imposant ni de spectaculaire, mais une série de signes, de détails et d’architectures qui tissent un récit urbain subtil. Ce centenaire rappelle que la modernité n’est pas toujours synonyme de rupture : à Rodez, elle s’est faite en douceur, à travers des façades, des mosaïques, des volumes et des lignes qui ont transformé la ville sans la dénaturer.

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