
L’Âme des Toiles
Scène de comédie à Paris vers 1620 : un rare témoignage de la peinture française

Dans le troisième épisode de la série L’Âme des Toiles, Nicolas Sainte Fare Garnot commente un tableau surprenant conservé au Château de Bournazel. Il s’agit d’une scène de théâtre inspirée de la Commedia dell’arte, un genre très en vogue dans le Paris des années 1620.
Après Rome et Venise, L’Âme des Toiles déplace le regard vers Paris. Le Château de Bournazel conserve une toile rare, datée des années 1620, qui permet d’évoquer la situation de la peinture française à cette époque. De prime abord, l’œuvre semble modeste. Mais en l’observant attentivement, des indices apparaissent. Le sol, relevé, est un plancher. Un grand rideau occupe le fond : il s’agit bien d’une scène de théâtre. Les personnages que l’on distingue ne sont pas des figures bibliques ni des portraits aristocratiques, mais des comédiens de la Commedia dell’arte, ces troupes italiennes introduites en France par Catherine de Médicis et qui rencontrèrent un vif succès auprès du public.
Une scène théâtrale aux accents scabreux
Le tableau raconte une intrigue typique : un vieil homme, figure du « barbon », tente de séduire une jeune femme, probablement courtisane, mais ses intentions douteuses sont déjouées par la présence du soupirant. Le regard de la jeune femme, tourné vers le jeune homme, signale son choix et souligne le ridicule du vieillard. Ce type de scène, à la fois comique et un peu scabreuse, reflétait l’esprit des spectacles très appréciés à Paris au début du XVIIe siècle.
L’œuvre est d’autant plus intéressante qu’elle s’inscrit dans un ensemble plus vaste. On en connaît plusieurs versions dispersées dans des collections européennes, ainsi qu’une gravure éditée par le peintre et graveur parisien Leblon. Ce dernier produisait à la fois des peintures pour les amateurs fortunés et des estampes, plus accessibles, qui diffusaient ces histoires à un public plus large. Le tableau de Bournazel témoigne donc non seulement du goût de l’époque, mais aussi du rôle de la gravure dans la circulation des images et des thèmes populaires.
En soulignant ces détails, Nicolas Sainte Fare Garnot montre combien ce tableau apparemment anecdotique est en réalité un précieux document. Il éclaire une facette moins connue de la peinture française, tournée vers le théâtre, le divertissement et le goût du public pour les récits légers ou provocateurs. Par sa rareté et son sujet singulier, il enrichit la collection du château et rappelle qu’au-delà des grands maîtres, l’art du XVIIe siècle se nourrissait aussi de ces histoires de scène, où se mêlaient humour, désir et critique sociale.
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A propos de Nicolas SAINTE FARE GARNOT
Nicolas Sainte Fare Garnot est historien de l’art, spécialiste de la peinture française des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Ancien directeur du Musée Jacquemart-André à Paris (1993–2015), il a consacré de nombreux travaux à l’histoire des collections et à la redécouverte d’artistes oubliés. Conférencier et auteur, il s’attache à rendre accessible au plus grand nombre les clés de lecture des œuvres. Avec L’Âme des Toiles, il met son érudition et son talent de conteur au service des collections du Château de Bournazel, offrant un regard vivant et sensible sur des chefs-d’œuvre rarement montrés au public.