
L’Âme des Toiles
Saint Jean-Baptiste et le roi : une énigme attribuée à l’entourage de Le Brun

Le septième épisode de la série L’Âme des Toiles s’attarde sur une œuvre mystérieuse de la collection du Château de Bournazel. Longtemps donnée à Charles Le Brun, elle semble en réalité issue de son atelier et conserve encore aujourd’hui une part de mystère.
L’histoire de l’art est aussi une enquête. Le tableau présenté dans ce dernier épisode en est la parfaite illustration. Au premier regard, on distingue un roi couronné, une figure féminine à ses côtés et, au premier plan, un homme vêtu comme un berger. Ce détail vestimentaire oriente l’identification : il s’agit de saint Jean-Baptiste, le prophète qui précède la venue du Christ. La scène représente donc une confrontation entre le saint et un souverain de Palestine.
Une œuvre entre attribution et énigme
Ce tableau est connu grâce à une gravure qui l’accompagne, gravure portant le nom de Charles Le Brun, premier peintre du roi Louis XIV et auteur des décors de Versailles. Pourtant, les spécialistes sont unanimes : l’œuvre ne correspond pas au style du maître. Son écriture, ses effets de lumière et sa construction ne renvoient pas directement à sa main. Mais il serait réducteur de s’en tenir là.
Le sujet, centré sur saint Jean-Baptiste, résonne avec une autre figure du XVIIe siècle : Jean-Baptiste Colbert, puissant ministre de Louis XIV. À Sceaux, Colbert avait fait construire un château doté d’une chapelle dédiée à son saint patron. On sait qu’un vaste programme iconographique y mettait en scène la vie du prophète. Le tableau de Bournazel aurait ainsi servi de modèle préparatoire à une sculpture destinée à ce décor.
Dans ce contexte, il est plausible que Le Brun, accaparé par ses multiples responsabilités, ait conçu le dessin initial, puis confié l’exécution de la toile à un assistant de confiance. Parmi les noms avancés figure celui de Claude Audran, peintre actif dans son entourage. Rien n’est encore confirmé, et l’attribution reste ouverte, mais la piste paraît solide.
Nicolas Sainte Fare Garnot insiste sur ce caractère énigmatique : l’œuvre pose des questions, et c’est là sa richesse. Elle incarne la complexité des ateliers du XVIIe siècle, où la frontière entre maître et élève, invention et exécution, est souvent difficile à tracer. Elle rappelle aussi combien chaque tableau peut être le point de départ d’une enquête, où se croisent histoire religieuse, commande politique et circulation des images.
En clôturant la série L’Âme des Toiles avec cette peinture, le Château de Bournazel offre au spectateur une leçon d’histoire de l’art vivante : parfois, l’œuvre ne livre pas toutes ses réponses, et c’est dans cette part de mystère que réside aussi sa fascination.
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A propos de Nicolas SAINTE FARE GARNOT
Nicolas Sainte Fare Garnot est historien de l’art, spécialiste de la peinture française des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Ancien directeur du Musée Jacquemart-André à Paris (1993–2015), il a consacré de nombreux travaux à l’histoire des collections et à la redécouverte d’artistes oubliés. Conférencier et auteur, il s’attache à rendre accessible au plus grand nombre les clés de lecture des œuvres. Avec L’Âme des Toiles, il met son érudition et son talent de conteur au service des collections du Château de Bournazel, offrant un regard vivant et sensible sur des chefs-d’œuvre rarement montrés au public.