Peut-être Rodez est-elle peuplée de fantômes. Dans les bâtiments, les rues, les quartiers, dans son histoire bien sûr mais aussi chez celles et ceux qui y habitent. Et peut-être ces fantômes ont-ils d’emblée parlé à Jean-Philippe Savignoni.

Jean-Philippe Savignoni
Jean-Philippe Savignoni

Qui sait, peut-être dès sa naissance dans cette ville, dans le milieu des années soixante. D’un père corse et d’une mère lorraine, le petit Jean-Philippe a dû écouter, les anciens, les autochtones, mais plus encore que ça : entendre des voix venues des pierres, du passé, des bâtisses de Rodez et de « l’entité » Rodez elle-même. Dit comme ça, cela sonne un peu sorcier, histoires fantastiques pour effrayer les enfants. Mais non : avec son frère Jean-Sylvain par exemple, conteur et musicien, ou encore son neveu Symon, guitariste de jazz à la Django, et sans parler de ses parents, les Savignoni font un peu office de griots. Et la marotte de Jean-Philippe, lui, c’est d’entendre une histoire dans tous les recoins de Rodez, voire d’ailleurs. Les fantômes qu’il entend, ils sont bien vivants. Et depuis 35 ans, il raconte et il transmet ces histoires, non seulement aux touristes, mais aussi aux (Grands) Ruthénois, entant que guide conférencier et conteur du patrimoine, un simple « employé » de la Ville dit-il officiant entre l’Agglo, les Archives départementales et l’Office du tourisme. « J’ai commencé à 20 ans avec la chapelle de l’ancien lycée Foch, se souvient-il.  A l’époque, j’étais un peu introverti. Mais ça m’a poussé sur scène, ça m’a désinhibé, libéré… Je ne pouvais pas rêver mieux. »

Et depuis, le rêve perdure, et les fantômes lui parlent toujours. De ses études de comptables, « j’ai déposé le bilan », dit-il, pour accomplir à fond ce rêve de raconter Rodez. Via ses pierres et ses habitants, morts ou vivants. « Beaucoup visitent le cimetière, je fais un peu ça, je souffle sur les cendres, je convoque les morts. Je suis un peu comme entouré de fantômes. Mais j’aime bien les faire revivre, raconter l’histoire de ce qui a été. On a tellement oublié de choses, et aujourd’hui tout pousse toujours à laver la mémoire. Moi, j’essaie de jeter des ancres, je me suis senti porteur d’une espèce d’imaginaire de l’histoire. Moi qui aime écrire, c’est comme un travail de romancier, j’aime conter l’histoire, la faire chanter, vibrer. »

L’histoire lui parle, la ville lui parle aussi : « Quand on vit dans une ville, on ne la regarde plus vraiment comme une personne qui dit : regarde-moi, , j’ai des histoires à raconter. » Et Jean-Philippe écoute, et d’écouteur le voilà conteur, racontant la ville entière, ses maisons, ses pierres, son passé, et aussi les vivants : « Il y a une fraternité du souvenir, les gens sont venus m’amener des documents, des récits. De ses récits, et de l’histoire, il en a fait des DVD (« Paroles de Ruthénois »), des ouvrages, et des visites guidées ».

Durant le confinement, Jean-Philippe Savignoni a continué à faire le guide, à conter et raconter Rodez, ce n’est pas un misérable Covid qui empêchera aux fantômes de raconter les histoires, de vivre à travers les pierres et les hommes. Et pendant cette période où « les gens faisaient le GR de leurs propres quartiers », lui postait via Facebook de petites vidéos de 4 minutes qui contaient toujours l’histoire de Rodez. « Un patrimoine vu de chez moi, où j’ai mêlé la grande Histoire aux trucs d’ici. J’ai mis un peu d’humour, on avait besoin de ça, pour rappeler un peu l’insouciance, qui n’existe plus beaucoup maintenant. »

Déconfiné, Jean-Philippe va continuer, et même sortir hors des murs de Rodez, conter l’histoire que les fantômes des champs, après ceux des villes, voudront bien lui confier. « On a fait une caselle sur le Causse comtal, et puis Inières, Banocre… »

Lui qui est allé en Argentine, à Pigüe, réaliser avec l’équipe de Fiasco Productions un long-métrage autour de l’histoire (une autre), de la Ruthénoise Marie Agar, qui tenait un magasin de photos rue du Bal, un film qui sera projeté en ce mois de juillet, à Rodez puis en suivant la vallée du Lot.

Comme pour donner encore un peu plus d’air aux gens d’ici. Puisque dans cet air, comme dans les pierres, comme chez les gens, des histoires tournent, des histoires viennent, l’histoire, les souvenirs, des fantômes vivants, et par-delà tout cela, ce qu’il y a à conter, ce sont les si petites histoires de notre humanité. De toutes petites histoires qui élargissent l’horizon et le rendent plus près de nous.

La vie véritable n’est peut-être en fin de compte qu’une somme d’anecdotes.

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