A priori, lorsqu’on est « né dans une famille de petits paysans du Carladez » comme dit Bruno Bonhoure, longue semble la route qui conduit au chant lyrique dit « courtois », dans un domaine aussi ciblé que l’époque médiévale, occitane également, avec ses chants liturgiques, sa musique baroque et ses troubadours. Et surprenant aussi, peut-être, de voir le bonhomme devenu ténor et musicologue co-diriger un ensemble dévolu au dit domaine, rébarbatif pour le Terrien moyen.

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Bruno Bonhoure : un chanteur, un musicien et un ancêtre des troubadours (©-lcdl)

Pourtant, à certains détails, on pourrait se dire que le parcours de Bruno Bonhoure, au bout d’un demi-siècle d’existence, n’est pas si incroyable que cela. Il y a ce « piano dans la salle à manger, tout désaccordé », qui vous donne des images de salles de concert, de cantatrices ou d’opéras. Il y a aussi ces « histoires contées et ces chants dans les repas de famille ». Et ce patois occitan, langue morte, qui faisait bien sûr, sous nos latitudes, partie de la tablée. Alors oui, fort de cette empreinte qui existait finalement dans le Carladez de son enfance, Bruno est parti à la ville, Clermont puis Paris, se plonger dans le chant au conservatoire et dans les études de musicologie entre autres. Jusqu’à co-créer en 2005, avec le « metteur en espace » Khaï-Dong Luong, la Camera delle Lacrime, un ensemble musico-lyrique dévolu à la musique baroque, médiévale et occitane. Après avoir exploré et interprété en concert et sur piste le répertoire des troubadours, ses chants historiques et ses musiques baroques, la Camera delle Lacrime et Bruno Bonhoure vont monter tout ce répertoire en spectacles, notamment avec des pièces fortes de l’œuvre littéraire du Moyen-âge. Car Bruno est un féru et un passionné non seulement de la musique, mais de toute cette période entre le XIe et le XIIIe siècle, et à l’entour.

Et c’est tout naturellement encore qu’à partir de 2017 jusqu’à aujourd’hui, Bruno Bonhoure et les différents protagonistes de cette « chambre des larmes » vont se pencher sur Dante Alighieri à travers son œuvre phare, la Divine comédie, écrite sous la forme d’une trilogie : L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis.

La Camera delle Lacrime, un ensemble musico-lyrique dévolu à la musique baroque, médiévale et occitane.(©-lcdl-scaled)
La Camera delle Lacrime, un ensemble musico-lyrique dévolu à la musique baroque, médiévale et occitane.(©-lcdl-scaled)

Pourquoi naturellement ? Parce que « La Camera delle Lacrime, c’est dans un texte qu’a écrit Dante à Béatrice, la dame de ses pensées ». C’est cet amour puissant qui va inspirer Dante pour la Divine comédie, sorte de voyage initiatique de l’Enfer et ses neuf cercles au paradis et ses neuf sphères, en gravissant la montagne du Purgatoire. Ceci dit en résumant on ne peut plus succinctement ce monument littéraire et philosophique. « Dans sa quête, Dante cite parfois les musiques qu’il entend, en musique liturgique comme en chants de troubadours, précise Bruno. Il y a énormément de troubadours auxquels il rend hommage. Il y a même une partie du Purgatoire qui est rédigé en occitan. À chaque fois qu’un chant est cité, ou une musique, on est parti à sa quête, tout en restant attentif sur la source des documents. » Mais outre sa vocation à présenter les musiques que les moins de 700 ans au bas mot ne peuvent pas connaître, l’autre travail de la Camera delle Lacrime est « de trouver un moyen spectaculaire de présenter les musiques de cette époque. C’est une démarche qui se veut populaire, même à partir d’une base très pointue ». Pour l’œuvre de Dante, « ça se construit comme une narration. Une enquête policière. La Divine comédie, ça pourrait être tout autant un film qu’un jeu vidéo. Dante nous invite à nous mettre en action poétique, il nous amène à nous interroger, à nous changer, et donc à changer le monde et les choses tout autour. On essaie de trouver les ressources pour que ce soit aussi agréable pour nous comme pour l’auditeur. Et rendre l’énergie qu’il y a dans ces chants poétiques. »

BrunoBonhoure© Heather Stone
Bruno Bonhoure, un artiste et interprète hors norme. (© Heather Stone)

Racontant, chantant, jouant, dansant, la Camera delle Lacrime a terminé sa transcription musicale en fin d’année dernière, en sortant la dernière étape de cette trilogie, Paradiso, nous promènant au milieu des sphères ou cieux, des planètes, des saints et des âmes lumineuses. Un travail forcément dantesque mené durant plus de trois ans, et littéralement tambour battant, par Bruno Bonhoure et ses compagnons, pour passer de l’enfer au paradis par la chambre des larmes. Ou spiritualité et fantastique s’embrassent pour donner un spectacle vivant. Plus vivant largement que l’époque où nous vivons, où nous semblons faire le voyage inverse de celui de Dante. Comme dit une des premières phrases de Paradiso, il serait peut-être « temps de mettre de côté tous nos vains fantômes ».

Laurent Roustan

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