Toute émigration ou tout exil, depuis la nuit des temps, est une fuite devant la misère et la guerre, l’histoire se répète, sans fin. Les Aveyronnais n’ont pas fait exception à cette règle cruelle, avec plus ou moins de bonheur.

exil par paquebot vers les Amériques

Aux 17ème et 18ème siècle, la vie dans ce département presque exclusivement rural était très difficile, situation encore aggravée par le rude climat de l’Aubrac. Pour faire la jointure entre deux récoltes, on s’embauchait bûcherons en Espagne ou vendangeur dans le Tarn. Le service militaire, qui durait alors deux voire trois ans, absorbait les plus gaillards, restaient aux pays les plus âgés et les impotents. Filet d’eau permanent, l’exode devient fleuve dans les années 1860 après la crise du phyloxera qui ruina le vignoble. Au tournant du 20ème siècle, le département enregistrait une diminution de presque 39 000 habitants, 10% de la population. Les Aveyronnais fuient vers Toulouse, l’Hérault, le Tarn, l’Algérie où au côté des gavatch de Lozère ils vont installer des centaines de fermes, et plus loin encore, en Argentine, au Chili, en Californie… 

Mais c’est surtout Paris qui attire. Paris est un ventre qui réclame des bras pour le nourrir. A pied, par Saint-Flour et Clermont-Ferrand, le voyage s’effectuait en une semaine. A force de travail, ces rudes paysans se taillent une place et une réputation entre Bercy et République; mais l’histoire officielle laisse dans l’ombre ces centaines de jeunes filles pauvres à peine âgées de 15 ans qui s’engagent comme bonnes à tout faire dans les maisons bourgeoises ou les hôtels parisiens. Les hommes s’emploient dans les cafés et brasseries, économisent, créent un établissement où ils font venir un frère, un cousin, qui à leur tour fondent un nouveau café et ainsi de suite durant deux ou trois générations. Ils gardent un contact étroit avec le pays ; ils y reviennent, montrent leur réussite ; Paris prend des figures d’Eldorado, ce qui provoque de nouveaux départs. La plupart réussissent, du moins ont-ils échappé à la misère ; l’entr’aide est la règle à travers les premières amicales ; le couteau de Laguiole, auquel des artisans ingénieux ont ajouté le tire-bouchon, devient le symbole des nouveaux princes de la « limonade ».

Le temps des financiers

Né à Vors, Roger Béteille, géographe et fin connaisseur de cette ruralité, livrait en 2003 une analyse prédictive de la suite de cette aventure : « …Dans les années 80, on en était encore à ce qui s’était passé dans les siècles précédents. Les Aveyronnais de Paris étaient limonadiers de père en fils, c’était le système familial. On prenait les employés dans la famille, le voisinage. Les capitaux restaient confinés à ce milieu avec le système des tontines et les vendeurs de bières qui prêtaient de l’argent. Même si cela existe encore, les structures financières ont complètement changé. Pour les grosses affaires, les banques sont omniprésentes.
Beaucoup de ces petits établissements ont disparu avec l’envolée des prix de l’immobilier… Voilà un monde en pleine mutation sous les coups de boutoirs extérieurs… La tendance de fond, c’est bien le dépassement de ce milieu familial au profit de structures financières et industrielles.
»


L’ASSOCIATION ROUERGUE-PIGUE

Les gardiens de la mémoire

A travers de nombreux liens culturels et de mémoire, l’association Rouergue Pigüé cultive le souvenir de l’aventure des familles aveyronnaises qui ont traversé l’océan au 19e siècle pour fonder une colonie dans la Pampa argentine.

Depuis 1984, l’association est très active, et dans les deux sens, comme l’explique Jean Andrieu, son archiviste : « Grâce aux deux généalogistes de l’association, nous avons pu reconstituer les cousinades qui permettent aux familles des deux côtés de l’Atlantique de se retrouver, ce qui amène des Argentins à venir en Aveyron retrouver la terre de leurs ancêtres. » 

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Clément Cabanettes en en 1884

Ce lien culturel se concrétise à travers une action d’apprentissage du français à Pigüé soutenue par le Conseil départemental gravée dans le marbre par un accord d’Etat à Etat qui fait que les écoles de Pigüé sont les seules d’Argentine où le français est appris en première langue. « Sur place, il existe aussi une Alliance française et une Société française ainsi que l’amicale Intercambios avec laquelle nous travaillons en permanence, entre autre pour organiser les échanges scolaires, des voyages touristiques. » 

Le projet en cours est la création d’une BD racontant l’histoire de l’immigration à Pigüé. Cette ville agricole de 16000 habitants perdue au milieu de la Pampa devient le 4 décembre, date de fondation de la ville, le lieu de convergence de tous les habitants de la Pampa qui draine jusqu’à 20 000 personnes, une fête annoncée même par les journaux nationaux. « Ce qui nous conforte dans notre action, dit M. Andrieu, c’est que les jeunes adhèrent à ce lien historique entre l’Argentine et l’Aveyron parce qu’ils peuvent le vivre à travers l’histoire de leurs familles. »

Plus d’informations : www.rouergue-pigue.com

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