Pour finir cette sombre année et prendre un peu de verticalité, parole est donnée à deux représentants de la vie spirituelle en Aveyron. L’évêque François Fonlupt et Mohamed Amachrouk, président de l’association culturelle des musulmans de Rodez, apportent leur contribution pour apaiser et apporter un peu de lumière. 

Fonlup
L’évêque François Fonlupt
Amacchrouck
Mr Mohamed Amachrouk, président de l’association culturelle des musulmans de Rodez

Quel regard portez-vous sur la pandémie et sa gestion ?

M. Amachrouk : C’est la santé qui prime. On se doit de protéger. Il vaut mieux fermer des lieux de culte et sauver des vies. Si cela doit arriver, ça arrivera. Quant à la jauge limitée, on est plus dans l’embarras car un lieu de culte ne peut pas interdire l’entrée d’un fidèle. Nous continuons à échanger, s’ouvrir, tous les deux moins nous organisons des rencontres inter-religieuses mais avec la crise sanitaire, nous devons traiter l’humain avant tout, les convictions religieuses ou pas viennent après.

F. Fonlupt : Cela nous est tombé dessus, de façon inattendu mais sans être improbable. La mobilité et la mondialisation exposent aux virus. C’est une période étrange et douloureuse pour les malades, les morts. Cela rappelle que la vie est fragile, précaire, cela interroge sur notre condition humaine. Mais cela a révélé aussi la solidarité, ramener la réalité que les gens modestes, non reconnus, sont pourtant essentiels. Les questions demeurent sur les oubliés et la précarité. Comment collectivement changer ? On est mal, sonné, il faut du temps, mais objectivement on peut en ressortir en travaillant sur soi. Cela ramène à la gestion. C’est la grande difficulté de la vie religieuse et spirituelle. On sent qu’il y a une difficulté à prendre cette dimension qui risque d’être traitée de façon annexe, non essentielle. 

Qu’avez-vous fait pendant le confinement ?

M. Amachrouk : Nous avons échangé en faisant des groupes de paroles sur les réseaux sociaux. C’est une autre spiritualité. On a été puni deux fois car le premier confinement a eu lieu pendant le Ramadan. Mais cela a été l’opportunité de se recentrer sur notre condition humaine, le cocon familial. Nous avons aussi distribué plus de deux mille repas pendant le Ramadan et pas seulement à des musulmans. On est tous frère, on nourrit un pauvre. On a envoyé de l’argent à des personnes nécessiteuses. J’en profite pour tirer un coup de chapeau aux 300 familles qui n’ont pas pu fêter l’Aïd et ont gardé leur sang-froid. 

F. Fonlupt : La stabilité physique est reposante. Cela permet de réfléchir, lire, méditer. Nous avons eu plus de visites de personnes âgées paniquées et exclues. La situation était anxiogène. J’ai fait des messages pour inciter à ne pas s’affoler, de faire le point, s’interroger. Dans les paroisses, les prêtres ont beaucoup accompagné par souci de maintenir le lien. 

Quelle a été votre réaction suite à l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty ?

M. Amachrouk : On traverse des moments difficiles depuis quelques années. C’est insoutenable, on se demande comment on peut arriver à faire face à cette barbarie, d’autant plus le faire au nom de l’Islam. Ce sont des assassins, des barbares. On ne peut pas reconstruire une vie humaine. La caricature blesse les musulmans mais c’est la liberté d’expression. On est dans un Etat de droit, on peut manifester, apporter d’autres réponses par la tolérance. Ces gens-là n’ont pas trouvé leur voie d’où l’importance de l’éducation. Au départ c’est l’éducation. L’enfant n’est pas ce qu’il a envie qu’il soit mais il a un bagage. La foi vient avec la pratique, la culture, l’apprentissage. Notre rôle est d’accompagner pour éviter les violences. Il faut approfondir, s’intéresser, oser, apprendre pour se donner un but, trouver un sens à sa vie. L’Islam est la religion du juste milieu, ni dans un extrême, ni dans l’autre. La sagesse se travaille, il faut bien guider sinon malheureusement cela peut amener le pire. 

F. Fonlupt : C’est révoltant et insupportable. Aucune religion n’est violente. Adrien Candiard écrit dans son livre « Du fanatisme » que « c’est une perversion de la religion. Quand on perd la relation, ce sont les commandements qui l’emportent et on n’est plus en relation avec Dieu. » Ma foi n’est pas irrationnelle, je peux en rendre compte par la raison. Il faut intégrer du recul mais on manque du temps. On s’interdit toute réflexion sur cette dimension spirituelle. On gagnerait à traiter du fait religieux et en particulier philosophique dans les facultés. La dimension spirituelle s’appauvrit et provoque des dégâts. Il faut favoriser les dialogues inter-religieux. Nous nous retrouvons souvent avec les musulmans pour échanger. Nous sommes très soucieux de ne pas enfermer les musulmans dans le fanatisme. Il faut se connaître pour se respecter. La loi sur le séparatisme risque d’accentuer le repli et le communautarisme. 

Comment expliquez-vous que les hommes se dirigent vers d’autres pratiques et voies spirituelles ?

F. Fonlupt : Il faut séparer l’institution et la foi spirituelle. L’Eglise est collective, le besoin individuel. Nous vivons aussi des moments difficiles avec les affaires de pédophilie. Il faut aider à entendre que l’institution n’est pas la foi, la foi est une relation avec quelqu’un, servir la rencontre. L’Eglise trouve des réponses sans sa foi. On peut accompagner, cheminer avec. L’horizontalité est la solidarité, la verticalité est au-dessus, on ne bute pas sur un mur, L’horizon n’est pas fermée. L’église a à servir cela. C’est rencontrer quelqu’un par une attitude d’attention bienveillante. Notre société est tout aussi belle qu’à d’autres périodes mais elle est inhumaine à cause de l’immédiateté, alors on cherche des lieux de respiration. Je suis surpris par l’ouverture de toutes ces salles de sport. Nous avons besoin de lieux pour se poser, l’écriture permet  de chercher, creuser, discerner. L’Eglise a manifesté des fragilités et il y a une multiplication de propositions. Ce choix est un bien car il sauvegarde la liberté de conscience et religieuse. Cette dernière phrase est du Coran. La culture permet d’aider au discernement. La dimension religieuse y participe aussi. Le débat aujourd’hui est que la liberté de culte reste possible. Le danger de l’urgence qui dure, fait que l’église ferme ou pas, ainsi que d’instaurer une jauge. 

M. Amachrouk : Il faut approfondir, s’intéresser, oser. Apprendre pour se donner un but, trouver un sens à sa vie. Malgré l’actualité, beaucoup de gens se convertissent. On a un rôle de responsable religieux, guider et les accompagner pour éviter l’incompréhension et les violences. Pour plonger dans le livre de vérité, il faut avoir du courage et les aider dans ce cheminement.

Quel est votre message pour cette fin d’année ?

F. Fonlupt : Nous appuyer sur le meilleur de ce que nous avons pu vivre. Regardons, déployons la générosité. C’est un réflexe heureux de l’humanité de se serrer les coudes, ne perdons pas cette capacité. Essayons de garder une vie tournée vers les autres. Distinguons l’essentiel de l’accessoire, réfléchir est un trésor pour les autres. La précarité est plus forte, il ne faut pas s’y habituer, être attentif à l’autre. La fraternité est le seul mot de la devise qu’on ne peut réguler, encadrer. C’est l’horizon qu’on ne peut fermer. L’enjeu est de développer les relations dans l’amitié qui s’enracinent sur la diversité. 

M. Amachrouk : La paix pour tous nos concitoyens. Il y a six millions de musulmans en France, il ne faut pas stigmatiser car ce sont aussi nos voisins, nos collègues de travail qui ne demandent rien d’autre qu’à vivre en paix et accomplir sa prière et sa religion. 

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